vendredi 7 janvier 2011

Jeudi 8 février 2035 : L'Île aux Enfants

Son garçon se tenait devant lui. Mais il n'avait rien à lui dire. Le blanc total.

Ce moment, pourtant, il l'avait attendu si longtemps, depuis le jour où les forces de l'ordre avaient défoncé la porte du logement qu'il occupait avec sa femme et… leur fils âgé à l'époque de seulement quelques mois.

Plus de dix ans s'étaient écoulés depuis, dix années sombres, dix années de vide, maintenus qu'ils étaient dans la plus totale ignorance, comme si leur enfant n'avait jamais vu le jour.
Mais il était interdit, désormais, d'être parent.
Seulement aujourd'hui, pour deux courtes heures, seulement aujourd'hui c'était possible. Mais il ne savait pas comment, il ne savait plus.

La réglementation avait été adoptée définitivement en juin 2024. C'était de toute façon devenu incontournable. Partout dans la société occidentale les drames se succédaient, partout des parents incapables de s'occuper correctement de leur progéniture, des enfants élevés n'importe comment, privés de soins parfois élémentaires, mal nourris.

Les spécialistes ne s'accordaient pas sur les causes du phénomène. Peut-être était ce dû à la prépondérance des univers numériques dans la vie des adultes, une véritable emprise qui les détournait du réel, les privait du bon sens, les maintenait dans un état, en quelque sorte, d'enfance perpétuelle.

Alors le gouvernement avait fondé l'Île aux Enfants, un centre protégé, immense, où l'on élevait, dans les meilleures conditions - disait-on - la totalité des enfants nés dans les pays de la zone occidentale. Problème réglé.

Et il était donc là, devant son fils, en ce matin du jeudi 8 février 2035, dans une des cabines de l'un des rares espaces-contacts de l'Île aux Enfants. Il avait deux heures pour renouer, pour reprendre autant que faire se peut son rôle de père - Dont il avait été privé si longtemps.

Mais rien ne se passait. Dans sa tête ne lui venaient que des banalités, alors qu'il ressentait tellement le besoin de dire très exactement les mots, les mots justes.

Le silence s'éternisait. Finalement il lui demanda, tout simplement :
...Comment ça va, au centre ?
- Mais ça va très bien, lui répondit son fils d'un ton calme, détaché, j'ai tout ce qu'il me faut, absolument tout. Je ne sais pas pourquoi on se voit aujourd'hui. J'ai toutes les machines dont j'ai besoin.

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