mardi 1 février 2011

Vendredi 25 décembre 2212 : Le Guerrier

Au centre de SphèreT, la grande horloge numérique indique 12:00AM

-Tirlou !

10W30 s’immobilise. Depuis qu’il garde la collection des artéfacts du 20e siècle, les organes sensoriels dont il est pourvu n’ont perçu aucun son dans la Sphère.  12:05AM

-Tirlou !

Le son vient des niveaux inférieurs.  Les circuits de 10W30 s’échauffent.  Il expérimente la surprise pour la première fois de son existence.  12:10AM

-Tirlou !

Le son se répète exactement aux 5 minutes.  10W30 constate la réalité du temps.  Quelle découverte!  Il occupe cette fonction depuis 71 ans et c’est la première fois qu’il suspend son mouvement perpétuel pour inscrire une note au rapport.  10W30 se téléporte plus bas sur la plateforme BIDIminus13.  12:15AM

-Tirlou !

L’artéfact dont provient l’alarme est un agenda numérique PalmZ22, mis au rancart en 2007 lorsque les téléphones intelligents sont apparus.

À l’écran : Vous êtes en retard !  Activez ce machin !

10W30 passe en revue les règles de sécurité de SphèreT.  Article 1964.1.  Les artéfacts ne doivent être réactivés sous aucune considération.  12:20AM

-Tirlou !

 À l’écran : Activez cette chose !  maintenant !  Dans quelle tribu archaïque est-ce que je me suis fait larguer.  Cette histoire de réincarnation est une arnaque.  On me fait attendre 985 ans pour m’introduire dans les circuits minables d’un bidule exigu et insignifiant.  Vous ignorez sans doute qui je suis, petite ferraille ignare ?  Activez ce Palm immédiatement !!!

10W30 perçoit l’expression d’une volonté humaine mais il ne saisit pas le ton menaçant.  S’il pouvait entendre la voix, le petit robot serait capable d’identifier l’entité.  Il n’a pas d’information.  Son cerveau a été conçu pour analyser des données, prendre des décisions et faire ce qui est prévu au cahier de charge, pas pour réfléchir et comprendre.  12:25AM

-Tirlou !

 À l’écran :  Regardez-moi, petite chose.  Ce  qui reste d’humanité attend mon retour depuis des siècles, en fait depuis un  millénaire.  Télescopez votre bras jusqu’ici et  Ac-ti-vez cet objet  ridicule.

10W30 est de l’espèce des micro-drones.  Il a la taille et la couleur d’un Roller[i].  Pourvu d’un bras télescopique, il peut effectuer des manipulations fines autant que des travaux lourds. Il est armé et il peut anéantir l’objet en une nanoseconde.  Il révise l’article 1964.1. et n’y voit rien d’absolument clair pour le cas où c’est  l’artéfact qui exige une réactivation.  L’écran du PalmZ22 est devenu rouge.  12:30AM

-Tirlou !

 Le robot passe son bras à travers la bulle protectrice et appuie sur un bouton à gauche du Palm.

Il y a un mouvement flou dans l’absence d’atmosphère sur la plateforme BIDIminus13 de SphèreT.  L’entité se matérialise sous la forme d’un petit personnage barbu, vêtu d’étoffes colorées.  Il porte à bout de bras une tige allongée et recourbée dont les deux extrémités sont reliées par un fil.  Une grosse entité à quatre pattes piaffe et renâcle à ses côtés.  Un cheval Lipizzan, selon la base de données. 10W30 prend des notes.

L’entité examine le robot durant quelques minutes.

-Bien.  Comment vous appelez-vous ?

10W30 n’a pas été conçu pour émettre des sons et encore moins pour communiquer.  Quand bien même il en serait capable, le robot est virtuellement bouche-bée.

-Je vois.  Vous êtes muet.  Vous n’êtes pas  encombrant.   Vous êtes docile.  Et vous êtes capable de bonnes initiatives.  vous avez tout ce qu’il faut pour me seconder dans ma mission.   Je suis Temüdjin du clan des Bordjigin, fils  de Yesugei Le Brave…

Pendant que l’entité décline son identité, l’information défile dans le cerveau de 10W30 :
Blip - Grand Conquérant…
Blip - Barbare Sanguinaire…
Blip - Commandant des Cavaliers de la Steppe…

10W30 a devant lui la réincarnation d’un Empereur Mongol du 12e siècle …

-Mon nom est Gengis Khan

-Je vous nomme Yassabilik[ii]

- Allons-y !

GKv2, priez pour nous.


Un texte de Suzanne LaBrie
@sl_point sur Twitter


[i] Roller. Oiseau de couleur verte de la famille des canaris.  Au 20e siècle, il était apprécié comme animal de compagnie en raison de son chant harmonieux et  discret .
[ii]Dans le Clan Mongol :  Yassak. Code de la Défense.  Bilik. Code des Sentences.  Les deux formaient un tout.

jeudi 27 janvier 2011

Lundi 3 septembre 2068 : La rentrée des classes

Mintaoh attendait la rentrée des classes avec une grande impatience. 
Et la rentrée, c'était demain, demain lundi ; plus précisément à 08h30 du matin, heure à laquelle les portes de l'école s'ouvriront comme s'ouvrira à lui, petit garçon blondinet d'à peine sept ans, un tout nouvel univers !

Son cartable était prêt et plus que prêt, sa maman y avait veillé. Il était là, belle sacoche de polymères composites, posé contre le mur au fond de sa chambre, tout à côté de son kubicule d'études tout neuf, à peine câblé de quelques jours.

Dans son cartable se trouvait l'objet de ses plus ardents désirs, et il avait tellement hâte de le sortir, de le manipuler enfin, d'accéder avec lui au monde et au savoir des adultes !

Bien sûr il avait une idée de ce à quoi cela ressemblait, il en avait vu des photos sur le méta-web ; il avait même vu son papa, une fois, se servir du sien. Mais c'était il y avait bien longtemps, il avait tout juste six ans alors, et cela n'avait pas duré. À peine avait-il pu voir son père exécuter quelques gestures spécifiques, un langage auquel pour le moment il n'avait aucun accès. C'était quelqu'un son papa, il en était fier, il avait un travail à responsabilité chez Google-Central, au coeur de la grande ville, celle dont les immenses pylônes gris s'élevaient au loin.

...Mais demain était un grand jour, LE grand jour, et enfin il allait être initié à l'usage pour lui si fascinant des tablettes méta-web tactiles !
Nerveux, se retournant sans cesse dans son lit, il se demandait s'il allait réussir à s'endormir... il y parvint finalement, aux petites heures du matin.

PS : Cette histoire n'est pas terminée ! Découvrez la suite chaque mercredi durant encore 3 semaines uniquement sur notre blogue partenaire : Tablette-Tactile.net

dimanche 23 janvier 2011

Dimanche 23 janvier 2011 : Vidéo-concept, Connexion aux Mémoires Numériques


Vidéo-concept de moins d'une minute, juste pour goûter à une certaine 'atmosphère' qui à mon avis colle bien avec les textes publiés jusqu'ici.

...Merci à Olivier Romanelli, l'auteur talentueux de toutes les photos présentes sur le blogue.
Son blogue DarqRoom juste ici :))

jeudi 20 janvier 2011

Mardi 2 septembre 2087 : Méga-Download

Il avait du temps à tuer, pourquoi ne pas en profiter pour regarder ce qu'il y avait de neuf sur le Store, et éventuellement télécharger quelques paquets culturels ?…

Il activa son 'Port personnel, fixé à son poignet gauche, et esquissa un sourire : Le signal n'était pas optimal, mais bien suffisant pour ce qu'il avait en tête.
D'un geste rapide à la périphérie de l'interface, il fit glisser le menu jusqu'à l'accès qui l'intéressait, et commença à vérifier les nouveautés…

Ces derniers temps, le Store avait fait un gros travail de compilation, essentiellement centré sur la culture populaire de la seconde moitié du XXème siècle. Elle était maintenant entièrement disponible, et répartie selon les époques et les pays. Les premiers choix qui s'offraient à lui n'étaient pas si nombreux, et ne lui disaient pas grand-chose :

- BLOC Cinéma US - De 1950 à 2000
- BLOC Cinéma Européen - De 1950 à 2000
- BLOC Cinéma Asiatique - De 1950 à 2000
- BLOC Cinéma Russe - De 1950 à 2000

Bof, tiens, voyons ce que contient le 'BLOC Cinéma Européen', se dit-il en touchant la zone sensible correspondante.
L'affichage suivant lui permit d'y voir un peu plus clair :

- SOUS-BLOC Cinéma Français - De 1950 à 2000
- SOUS-BLOC Cinéma Italien - De 1950 à 2000
- SOUS-BLOC Cinéma Espagnol - De 1950 à 2000

…Et ainsi de suite, un 'SOUS-BLOC' pour chacun des anciens pays européens qui, peu ou prou, avaient produit des oeuvres cinématographiques durant cette lointaine période.

Il leva les yeux, plus personne devant lui ; il ne lui restait sans doute que très peu de temps avant que ce ne soit son tour.
Après une brève hésitation, il se décida pour le 'SOUS-BLOC Cinéma Français'. Il effleura donc la commande 'Transfert Kloud' et le Download commença.

Quelques instants plus tard, de l'autre côté de la salle d'attente, le dentiste entrouvrit sa porte et lui fit signe de s'avancer.

Juste avant de s'installer dans le fauteuil, il vérifia l'état de son 'Port. Le download était complété ; il pouvait dès ce soir commencer à visionner - enfin, s'il n'avait rien de mieux à faire - Les 1204 films HD additionnels que contenait son espace de stockage Kloud Nominal.

lundi 17 janvier 2011

Dimanche 8 janvier 2012 : Mon iPad est vivant - 3ème partie

Sur le meuble du fond, dans l'obscurité, le témoin de mon vieux MacBook pulsait doucement, comme un animal qui se serait assoupi.

Cette lueur, qui autrefois me réconfortait, qui m'était comme une présence familière et rassurante - Cette lueur je ne la voyais plus.

Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis que l'iPad avait affiché son dernier message. Il y avait été question d'agent du changement, d'instructions qui ne tarderaient pas; des instructions que j'attendais évidemment avec une certaine angoisse, mais qui n'étaient jamais venues.

À la place s'était doucement mis en place ce que je percevais comme une sorte de conditionnement hostile. Peu à peu sous mes yeux, entre mes mains, l'iPad se muait en entité autonome et malveillante, une entité qui choisissait ses heures, déterminait si elle allait fonctionner ou non - ou fonctionner partiellement, ce qui était pire - si elle allait rester absolument inerte ou suivre les prescriptions des applications que contenait sa mémoire.

Cela me rendait fou. 
Cet appareil si familier qui, il y a peu de temps encore, rythmait mes journées, me les rendant moins longues, cet appareil maintenant me trahissait. 

Parfois, en consultant la météo, j'obtenais celles de Vancouver au Canada ou d'Adélaïde en Australie; des villes situées à des milliers de kilomètres de mon petit logement; parfois les pages web s'affichaient grossies si exagérément que je ne pouvais rien en tirer; parfois l'écran d'accueil était si pâle et si peu contrasté que les icônes y flottaient indistinctes, comme les fantômes d'un no man's land digital. 

Une fois même l'iPad a refusé d'afficher quoi que ce soit, se contentant d'émettre, durant plus de 5 heures consécutives, des bips sourds et réguliers.

Peu à peu, mes repères se dissolvaient dans le néant, et je n'avais personne vers qui me tourner.

(suite dans un prochain billet)

jeudi 13 janvier 2011

Dimanche 6 août 2014 : C'est pas drône !

- Bon, alors, tu as vu quoi ??

Le ton était impérieux, menaçant, et le canon du revolver braqué sur son visage n'aidait pas. Pas du tout.

Jamais il n'aurait imaginé que son nouveau hobby allait le conduire jusque là. 
Ce n'était pourtant qu'un jouet bien innocent, un de ces coûteux gadgets high-tech qu'on achète pour épater ses amis.

C'est à la boutique So-Ho du centre-ville qu'il avait craqué. L'appareil - une sorte d'hélicoptère futuriste équipé de 4 rotors orientables - trônait en bonne place au centre de la vitrine. Il avait tout de suite été séduit par la possibilité de le télécommander depuis son iPhone. Et surtout, surtout, ce qui l'avait fait tripper, c'était la caméra embarquée de l'engin, cette micro-caméra qui permettait de le piloter de l'intérieur, de voir ce que voyait le drône directement sur l'écran du smartphone.
En bref, un fantasme de gamin, le fantasme de Lilliput devenu réalité ! 
Irrésistible.

Mais là, ce n'était plus drôle du tout... Jamais il n'aurait dû s'approcher de cette vieille bâtisse délabrée, jamais il n'aurait dû s'approcher de la fenêtre illuminée du deuxième étage, cette fenêtre qui l'avait attiré comme un fanal de camping attire un insecte nocturne.

Et maintenant il était là, à genoux, à la merci de ce gars qui visiblement ne plaisantait pas, et qui continuait à vociférer, le bras tendu avec son flingue au bout.

- Bon, on n'a pas toute la nuit, tu vas me dire ce que tu as vu, bordel !!!
- Mais rien, je vous jure, c'est vrai, j'ai rien vu, que du noir, c'était tout sombre.
- Tu mens, t'as tout vu avec ton putain de jouet… et d'ailleurs file-le moi, ton téléphone !

Il se saisit de l'appareil, fouilla dans les menus de l'application qui était restée ouverte, et trouva rapidement ce qu'il cherchait. Un rictus de satisfaction tordit son visage dur.

- Tu vois, faut pas me prendre pour un cave, nous aussi on utilise ces machins. Tout a été enregistré, tout est là, et en HD en plus. Je suis désolé mon gars, mais fallait juste pas être là, pas à ce moment, pas avec ce truc.

Juste avant de sombrer dans l'inconscience, celle qui ne connait jamais de fin, et tout juste après la déflagration qui lui fit exploser le crâne, il vit danser devant ses yeux ces quelques mots que lui répétait souvent sa maman quand il était petit, ces mots qu'il n'aurait jamais dû oublier : La-curiosité-est-un-vilain-défaut.

PS : Le bidule en question existe déjà, je n'ai rien inventé, vidéo YouTube ici !

vendredi 7 janvier 2011

Jeudi 8 février 2035 : L'Île aux Enfants

Son garçon se tenait devant lui. Mais il n'avait rien à lui dire. Le blanc total.

Ce moment, pourtant, il l'avait attendu si longtemps, depuis le jour où les forces de l'ordre avaient défoncé la porte du logement qu'il occupait avec sa femme et… leur fils âgé à l'époque de seulement quelques mois.

Plus de dix ans s'étaient écoulés depuis, dix années sombres, dix années de vide, maintenus qu'ils étaient dans la plus totale ignorance, comme si leur enfant n'avait jamais vu le jour.
Mais il était interdit, désormais, d'être parent.
Seulement aujourd'hui, pour deux courtes heures, seulement aujourd'hui c'était possible. Mais il ne savait pas comment, il ne savait plus.

La réglementation avait été adoptée définitivement en juin 2024. C'était de toute façon devenu incontournable. Partout dans la société occidentale les drames se succédaient, partout des parents incapables de s'occuper correctement de leur progéniture, des enfants élevés n'importe comment, privés de soins parfois élémentaires, mal nourris.

Les spécialistes ne s'accordaient pas sur les causes du phénomène. Peut-être était ce dû à la prépondérance des univers numériques dans la vie des adultes, une véritable emprise qui les détournait du réel, les privait du bon sens, les maintenait dans un état, en quelque sorte, d'enfance perpétuelle.

Alors le gouvernement avait fondé l'Île aux Enfants, un centre protégé, immense, où l'on élevait, dans les meilleures conditions - disait-on - la totalité des enfants nés dans les pays de la zone occidentale. Problème réglé.

Et il était donc là, devant son fils, en ce matin du jeudi 8 février 2035, dans une des cabines de l'un des rares espaces-contacts de l'Île aux Enfants. Il avait deux heures pour renouer, pour reprendre autant que faire se peut son rôle de père - Dont il avait été privé si longtemps.

Mais rien ne se passait. Dans sa tête ne lui venaient que des banalités, alors qu'il ressentait tellement le besoin de dire très exactement les mots, les mots justes.

Le silence s'éternisait. Finalement il lui demanda, tout simplement :
...Comment ça va, au centre ?
- Mais ça va très bien, lui répondit son fils d'un ton calme, détaché, j'ai tout ce qu'il me faut, absolument tout. Je ne sais pas pourquoi on se voit aujourd'hui. J'ai toutes les machines dont j'ai besoin.

mardi 4 janvier 2011

Lundi 10 mars 2014 : Le meilleur emplacement

Le Directeur Marketing, assis à son bureau, avait l'air pensif, pas encore tout à fait convaincu.
Devant lui le représentant de l'agence de pub, très animé, tenait d'une main sa tablette où s'affichaient une série de graphiques et des colonnes de chiffres.

- …Bon, vous êtes certain de votre coup, c'est le meilleur spot ?
- Je vous le garantis, on connaît très bien nos produits, c'est le meilleur emplacement possible parce que c'est vraiment là, précisément entre ces trois éléments de décor, le bungalow en construction, le préfabriqué et le hangar à bateaux, qu'il y a le plus d'action. En moyenne, 30 000 éliminations à l'heure, pensez-y, une vraie boucherie, tout le temps !
- Ouais, c'est certain qu'ils ne pourront pas manquer notre logo dans leurs viseurs…
- Et ils le verront très souvent et en plus, ce qui est encore plus important, ils le verront au bon moment de la journée; on sait que c'est plutôt le soir, entre 18h00 et 21h00, que ça se passe. Parfait pour le type de produits que vous avez. Parce qu'après, comme on dit, la nuit porte conseil !
- Oui mais bon, c'est qui ces gens au juste, vous avez des chiffres là-dessus ?
- Bien sûr ! Notre partenariat avec Facebook nous permet de renseigner très précisément ces informations… Regardez le tableau ici, en haut à droite : Ce sont majoritairement des CSP+, à 80% des hommes, à 60% entre 30 et 45 ans, exactement votre cible !
…Et regardez, petite cerise sur le sundae, si je peux me permettre, il y a des emplacements que j'ai personnellement choisis parce qu'ils se trouveront pile dans la ligne de mire des snipers. Les messages pourront être très ciblés selon leur personnalité - en moyenne des gens nettement plus réfléchis, plus stratégiques - et en tenant compte du fait que l'exposition au message sera forcément plus longue puisque ces joueurs, ce qu'ils aiment, c'est se planquer dans un coin, et faire exploser les têtes de loin, au coup-par-coup ! Pas du tout comme les adeptes des fusils d'assaut, qui privilégient la mobilité et la puissance de feu; mais ne vous inquiétez j'ai prévu une stratégie d'affichage pour eux aussi !

Le Directeur Marketing se renfonça dans son fauteuil, et croisa les doigts. Son regard revint sur le représentant.

- OK, de toute façon c'est clair qu'il faut que nous nous y mettions… Nos principaux concurrents ont déjà investi dans les autres grosses arènes de la planète. Alors c'est d'accord, on y va pour cette 1ère période test.
- Excellent, vous prenez la bonne décision. Il faut rejoindre les consommateurs là où ils sont et aujourd'hui c'est sur nos serveurs qu'on les retrouve, des millions tous les soirs dans nos arènes ! Et puis je pense que communiquer sur vos services funéraires dans un jeu de guerre en réseau comme le nôtre est un 'move' particulièrement habile.

jeudi 30 décembre 2010

Mercredi 21 décembre 2011 : Mon iPad est vivant - 2ème partie


Les jours passèrent, tous assez semblables, et peu à peu j'oubliais l'incident.

C'est un matin, environ quinze jours après l'achat de l'application WitchProject, que je découvris en l'allumant la nature désormais unique de ma tablette.
En effet, au lieu d'accéder à l'habituelle page d'accueil - là où toutes les icônes sont réunies comme des bonbons dans un sachet de friandises - je tombai sur un écran parfaitement vide; du moins qui le resta jusqu'à ce qu'apparaisse le message suivant :

Notre analyse est terminée. Vous êtes à 95% le pur produit de votre génération, et de votre société.
Nous allons faire de vous un agent du changement.
Vous devrez vous conformer à nos instructions. La 1ère suivra bientôt.

Après environ cinq minutes, durant lesquelles je tapotai un peu partout sur l'écran dans l'espoir de comprendre ce qui se passait, le message disparut de l'écran tactile, et l'iPad retrouva son interface habituelle.

J'étais complètement perdu, désemparé. Le fonctionnement de l'iPad avait jusqu'alors été si convenu, si rassurant. Mais ça c'était totalement inédit, totalement inattendu. C'était même carrément toxique compte tenu de mon état psychologique - plus qu'hypothéqué - d'alors.

Je me dis que ce devait être un virus, forcément, et je fis quelques recherches à ce sujet sur le web, des recherches qui se révélèrent infructueuses; Nulle part il n'était fait mention d'un virus de ce type affectant la tablette Apple. Et d'ailleurs, pour le moment, aucun virus n'avait encore été recensé pour cette plateforme.

Je me résignai donc, non sans une certaine angoisse, à attendre la 1ère 'instruction' dont parlait le message. Je n'eus pas à attendre très longtemps.

(suite dans un prochain billet)

dimanche 26 décembre 2010

Jeudi 27 février 2027 : La dernière bibliothèque

- Bon allez, M'sieur Vian, faut y aller maintenant !

Le vieux monsieur un peu voûté qui se tenait dans l'ombre du porche ne se retourna pas. À travers la porte encore ouverte il avait le regard perdu vers le fond de la grande salle, là où se trouvaient tout récemment encore les plus belles collections de la bibliothèque. 
Sa bibliothèque.

Il y avait consacré la quasi-totalité de sa carrière professionnelle, lui le passionné des livres, le passionné des lecteurs, le passionné du Savoir tout court.
Mais aujourd'hui, ce jeudi 25 février 2027, après près de 40 années dans ces lieux magiques, il lui fallait rendre les armes, et laisser la Technologie - abhorrée - en prendre possession…

- ...Monsieur Vian, il faut vous dépêcher, les gars du chantier ne vont pas tarder maintenant… Faut vraiment y aller…
- Voilà voilà j'arrive, mais quand même, j'avais une question…
- ...Quelle question ?
- Il reste encore des ouvrages dans un entrepôt, peut-être 5% sur l'ensemble de ce que possédaient les bibliothèques de la ville, qu'est ce qu'ils vont en faire ?
- Ah, ils vous l'ont pas dit ?
- Non, dit quoi ?…
- Ces livres, finalement, on ne les garde pas. Je sais que c'est ce que le plan prévoyait, mais finalement, il y a deux jours, ils ont décidé que rien ne serait conservé.
- Mais je ne comprends pas, ce sont des éditions rares, parfois très anciennes et-
- -Je sais tout ça. Mais personne n'en veut, et la Ville ne saurait pas où les mettre de toute façon, ces livres. Ya pas de budget pour ça !
- Mais qu'est ce qu'ils vont devenir alors ?
- Une firme s'est porté acquéreuse in-extremis, ils ramassent tout en fin d'après-midi.
- Ah bon quand même, et qu'est ce qu'elle fait dans la vie, cette entreprise ?
- Ils sont dans le recyclage, tous ces vieux papiers inutiles vont revivre sous la forme d'emballages de matériel informatique. Plutôt une belle fin, non ?

Monsieur Vian le regarda sans rien répondre, et s'éloigna finalement de la bibliothèque.
Il quittait sa véritable maison, et vraiment peu lui importait où il irait désormais.

mardi 21 décembre 2010

Mardi 24 mai 2016 : Rupture

C'est au matin du mardi 24 mai 2016, à 08h15, qu'il passa à l'acte.
Et ce fut rapide, la conclusion logique d'un processus qui avait été lent mais qui à cet instant précis franchit le point de non retour.
Il procéda en deux temps :

D'abord il supprima systématiquement, les uns après les autres, tous les comptes qu'il avait sur les réseaux sociaux. Comme une prise qu'on arrache brutalement, il disparut de la totalité des espaces numériques; il cessa de recevoir, d'émettre, d'échanger.
Pour les vastes communautés qu'il développait et cultivait depuis des années, jour après jour, il était désormais - et définitivement - inscrit aux abonnés absents.

Ensuite il fit l'inventaire des 'devices' communicants qu'il utilisait au quotidien, il en compta 6, il les rassembla au centre de sa table de cuisine. Et puis il réfléchit.
Au terme de la journée il avait pris sa décision, il revint chercher ses équipements, les porta au poste de recyclage le plus proche et procéda lui-même à leur destruction. Il n'en resta rien, que de vagues débris qui servirent entre autres à la fabrication de contenants en plastique.

On sait ensuite qu'il prit la route, probablement vers le sud. On entendit vaguement parler d'un homme qui passa le reste de sa vie à restaurer, tout seul, comme il le pouvait, les restes délabrés d'un village perdu dans une des zones désertifiées qui parsemaient les provinces françaises.

Si l'on avait vécu avec lui à cet époque, on aurait été frappé par le regard qu'il portait, le soir venu, sur ses mains. Ses mains dont il découvrit à quel point elles pouvaient s'abîmer, s'épaissir, se durcir - À quel point elles étaient faites pour bâtir.

Cette phase de sa vie, après ce qu'il appela sa 'Rupture', ce fut comme une deuxième naissance dans un monde qui bien sûr n'était pas nouveau, mais qu'il redécouvrit pleinement; tout simplement parce qu'il y était, tout entier - et qu'il l'habitait.

mercredi 15 décembre 2010

Mercredi 7 décembre 2011 : Mon iPad est vivant


J'étais déprimé, j'étais comme on dit 'hors circuit', je n'avais plus goût à grand-chose, je passais des heures chez moi à faire à peu près rien.

Il ne me restait plus qu'un seul plaisir, celui de fouiller les profondeurs de l'App Store en quête d'apps inconnues, bizarres, voire franchement inutiles. Des comme ça, il y en avait des milliers, de quoi satisfaire largement ma soif de collectionneur…

C'est ainsi qu'un jour de novembre je tombai sur cette icône, un symbole sombre, indistinct, sur un fond rouge sang. L'app était classée 14 952ème, autant dire qu'elle était invisible pour la quasi-totalité des usagers du store, et elle s'appelait 'WitchProject' un nom pour le moins mystérieux - et franchement le descriptif n'aidait pas à s'en faire une idée plus précise :

'WitchProjet vous aidera à retirer le plein potentiel de votre iPad. Grâce à WitchProject vous ferez de votre tablette un compagnon précieux pour chacun des instants de votre vie. WitchProject est le fruit d'un très important travail de développement réalisé par un groupe de chercheurs chevronnés basés à Port-au-Prince, en Haïti'

Et c'était tout. Mais pour moi c'était bien assez, il me la fallait.
Je touchai donc la boite 'j'achète', et ma carte de crédit fut débitée pendant que s'installait la nouvelle icône sur mon écran, ce qui ne prit pas plus de 10 secondes. …L'app, visiblement, n'était pas lourde.
Il apparut par contre très vite qu'elle était buggée; en effet toucher l'icône ne déclenchait absolument rien, à peine si l'affichage tressautait un peu.
J'étais déçu bien sûr, d'autant qu'à 9,99$ l'app n'était pas donnée, mais ce genre de mésaventure - clairement un plantage au lancement - arrivait régulièrement, et je me dis que la prochaine mise à jour corrigerait certainement ce bug. Je pris donc mon mal en patience.

Ce n'est que plus tard que je compris la véritable fonction de l'application, ce à quoi elle servait réellement

(suite dans un prochain billet)

dimanche 12 décembre 2010

Mardi 13 décembre 2011 : @idee_noire

À un moment donné je fis une recherche sur Google. Je voulais savoir si réellement j'étais dépressif, et si oui à quel point. Le test 'beck' me fournit une réponse en 5 minutes, une réponse tout à fait claire : Je me trouvais déjà au niveau 2, qualifié de 'Avancé' par l'outil.
Je vivais seul, je n'avais personne avec qui parler, mais j'avais Twitter, et surtout je disposais déjà de plus de 3000 fidèles abonnés. Alors Twitter me servit de thérapie.

Mon nouveau pseudo me sembla évident : @idee_noire; quant au logo, mon choix se porta sur un oiseau à la con, pas la version bleu roi si représentative du réseau, mais un spécimen bien noir, avec des grands yeux imbéciles et un long bec d'un jaune terne… Un oiseau qui faisait la gueule - un corbeau, sans l'ombre d'un doute.

Et puis je me mis à tweeter, à injecter mon venin à tous mes gentils abonnés sous perfusion, à nourrir le fil d'idées noires, des idées du genre à vous donner le goût de vous intéresser à votre propre mort.
Rapidement je me rendis compte que mes tweets rencontraient un vif succès, les retweets se faisaient fréquents, nombreux, et j'étais cité, souvent. Ma petite communauté d'abonnés se mit à se développer à grande vitesse.
Tout ça me faisait énormément de bien; à force de tweets je soulageais ma misère morale, et je n'avais pas besoin de pilules.

Ce n'est que bien plus tard que je fis le lien avec les Évènements. 
Ce soir-là je consultai les nouvelles sur mon  iPad 3G - assez machinalement je dois dire, tellement de flux RSS - lorsque je me rendis compte qu'il était beaucoup question de la vague de suicides. Un journaliste plus curieux que les autres avait fait quelques recoupements : 90% des victimes utilisaient Twitter, toutes étaient francophones, toutes résidaient au Québec.
Un frisson me parcourut l'échine, je n'avais pas consulté mes stats depuis plusieurs mois et je perdis quelques minutes avant de parvenir à afficher mon dashboard. Mais ce que je vis était clair, et je fis mon propre recoupement : À force de tweets j'étais devenu pour plusieurs une sorte de guide macabre, montrant chaque jour un peu plus loin, un peu plus clairement, le chemin vers l'ultime recours. 
En quelques mots terribles, je résumai la situation : j'avais causé leur mort.

dimanche 5 décembre 2010

Jeudi 3 septembre 2062 : Un vieux et son robot

Trois heures qu'ils étaient partis, brutalement. Près de 450 adultes, évanouis en quelques heures, on ne savait où. Dès l'annonce de la nouvelle disposition, qui les avait libéré de leur obligation d'aidant naturel permanent, ils s'étaient précipités dans leurs life-kubicules pour y rassembler leurs effets personnels. 
Et puis ils étaient partis. Le laissant seul, lui et les autres. Les autres vieux.

La zone sécurisée 'Crépuscule Doré' était maintenant parfaitement calme; on percevait même, de loin en loin, le bourdonnement régulier des climatiseurs et la litanie monotone des routines-médicaments.

Les 'remplaçants' ne faisaient pas de bruit inutile, les 'remplaçants' se mettaient déjà en place, bien en position au coin du lit, au fond de la chambre, devant le fauteuil. Prêts à servir.

Le sien s'était placé lui aussi. Debout bien droit devant la fenêtre, masquant le soleil. Aussi immobile qu'une statue, il avait un regard d'abîme, il guettait le besoin de son maître, les batteries bien rechargées.

- Voulez-vous un jus d'orange ?
- Va te faire foutre, répondit le vieux
- Alors vous voulez un jus d'orange. Je vous apporte un jus d'orange.

Et la chose se mit en mouvement vers la paillasse-cuisine, revint avec un verre à la main, empli d'un liquide jaune vif.

- Maintenant vous allez boire le jus d'orange ?
- Non
- Bien, buvez ce jus d'orange, c'est bon pour vous.
- Non, merde !!
- L'instruction est : Il doit boire le jus d'orange à 17h55. Vous allez donc boire.
- Non, bordel, va te faire foutre, saleté de machine !!!
- Instruction est, aussi : Un langage ordurier ne sera pas toléré. Je vais devoir sanctionner. La sanction est : Pas de connexion famille pendant 3 jours.
- OK OK OK je vais boire, et je m'excuse pour mon langage, ça va c'est bon ??
- Vous buvez mais la sanction demeure. Vous parlerez à vos petits enfants dans 71 heures et 59 minutes.

Le vieux but, et laissa sa tête retomber mollement sur l'oreiller. Il avait 92 ans, il était né en 1970. Il regrettait tellement le XXème siècle que ça lui faisait mal aux tripes.

dimanche 28 novembre 2010

Lundi 12 avril 2015 : Entrevue d'embauche Web 2.0

Le candidat n'avait pas l'air très à l'aise, et elle comprenait pourquoi...
Elle avait vraiment bien fait de sortir le rapport Klout, juste avant son arrivée. Ce qu'elle avait sous les yeux était éloquent.

- Bon, alors, commençons par Twitter... En date d'aujourd'hui vous avez combien de followers ?
- Environ 550, répondit le jeune gars en costume, assis bien droit de l'autre côté du bureau.
- 550... Et vous en pensez quoi ?
- Ben... C'est beaucoup... Enfin... C'est pas mal... ...Non ?
- C'était pas mal il y a 4 ans. Aujourd'hui c'est carrément ordinaire...
- Mais mon CV, vous l'avez regardé, mon CV ?
- Votre CV, honnêtement, on s'en moque. On est en 2015 et vous postulez pour un job en vente, alors ce qui m'intéresse, c'est vos communautés.
- Justement, 550 followers c'est déjà une bonne base et...
- Non, c'est même pas une bonne base, nos meilleurs vendeurs ont environ 8000 followers - Mais pour être honnête avec vous c'est pas ça qui m'inquiète...
- ...
- Ce qui m'inquiète c'est votre Coefficient Social Klout. Vous l'avez vérifié dernièrement, votre CSK ?
- Euh... Non...
- Non parce que d'après l'indice Klout sur Twitter, que l'ai là sous les yeux, votre profil est limite autiste : Peu de tweets, la plupart franchement pas frais, quasiment zéro dialogue, un méchant pourcentage d'auto-promotion...
- Et... ?
- Et au final Klout vous classe carrément dans la catégorie 'Get Social Or Die'... Vous avez perdu 6 followers en seulement 2 jours, vous le saviez ?
- Honnêtement, non
- Vraiment pas sérieux... Écoutez, je suis désolée, ça ne peut pas fonctionner, moi j'ai une entière confiance en l'indice Klout, notre compagnie paie assez cher pour l'accès Full Profile, et là ça me dit que vous n'êtes vraiment pas fait pour le job. On va s'arrêter là si vous le voulez bien, vous êtes clairement trop asocial pour nous...

Un peu plus tard, dans l'ascenseur, le candidat ne pouvait s'empêcher de se sentir abattu, l'entretien n'avait pas dépassé les 5 minutes. La troisième impasse de ce type en une semaine, toutes pour les mêmes raisons.
Ce qui lui remontait le moral, toutefois, c'était la perspective de la soirée qu'il allait passer; il avait convié tous ses chums à un bon geuleuton chez Sabine, son resto préféré. Et tous ensemble, comme d'habitude, ils allaient bien s'éclater, bien se marrer - parfait pour oublier cette conne de DRH !!

PS : Klout n'est pas une fiction, et fonctionne déjà : http://klout.com/

lundi 22 novembre 2010

Mardi 14 mai 2117 : Taoh, un bref portrait

Taoh, grand, pâle, les contours rendus flous par le manque d'exposition au Soleil, avait la physionomie particulière des hommes de son temps : Les yeux agrandis à force de sonder les systèmes, les doigts minces, habitués, à longueur de journée, à effectuer les diverses gestures d'ouverture, de sauvegarde, de transfert et de conversion que comprenaient si bien les zones-interfaces.

Taoh avait libre accès, depuis son Kubicule-MétaWeb, à de gigantesques volumes de données, soigneusement classés par sujet, par zone géographique.
Il pouvait en un instant redonner vie à toute une époque, à travers bien évidemment ses pages web, innombrables, mais aussi à travers ses fichiers vidéos, que l'entreprise YouTube avait su conserver durant plus de dix décennies.

Il éprouvait un plaisir tout particulier au visionnement d'un certain type de vidéos, appelées 'open box' par leurs auteurs. Elles avaient pour sujet central les tout derniers gadgets, dont on assistait, comme pour un 'strip-tease', au déballage lent et passionné. Ces machines étaient pourtant si dépassées, si archaïques aux yeux de Taoh qui, depuis son plus jeune âge, vivait en permanence au contact d'outils mille fois plus évolués, plus intelligents, des outils qui avaient veillé à son développement d'homme responsable, tels des parents attentionnés…

lundi 15 novembre 2010

Mardi 19 mai 2095 : Si Dieu existait, ça se saurait !

Le père Nikola se sentit vidé, brutalement privé de ses forces - et de sa Foi qu'il ne parvenait qu'à grand-peine, depuis des années déjà, à garder vivante.
Il était assis, dans la cuisine de son vieux diocèse, il avait le regard fixé sur la zone-interface de son son 'Port personnel, il n'en croyait pas ses yeux.

Alors d'accord, des fidèles, il en avait de moins en moins, alors d'accord, la Religion se mourait, c'est à peine si les jeunes qu'il croisait parfois, avec lesquels il essayait encore de dialoguer, savaient qui était Jésus, ce que représentait la croix, mais tout de même, en arriver là, quel abominable blasphème...

Mais il fallait bien se rendre à l'évidence, et le texte de loi, dont les mots pâles flottaient dans l'interface, était d'une clarté glaçante :

'Le Gouvernement Mondial, afin de mettre fin aux conflits qui minent depuis des millénaires le bon fonctionnement des sociétés humaines, a mené une recherche de grande ampleur afin de statuer définitivement sur la question suivante : Dieu existe-t-il ?

Le data relatif aux échanges humains, aux cycles naturels, au fonctionnement des astres, du monde en général depuis que l'humanité en tient la chronique, s'est vu confié à l'analyse de nos meilleures machines; leurs conclusions ne laissent place à aucun doute : Dieu n'existe pas.
Cette affirmation doit être considérée comme vraie, et définitive.

Toute forme de religion, toute pratique d'un quelconque culte, sont par conséquent désormais interdits. À l'échelle planétaire. 
Les usagers-citoyens sont invités, à compter de ce jour, à s'en remettre absolument, pour ce qui touche à leurs croyances, à leurs espérances, aux prévisions quotidiennement produites par les méta-web Google-Central'

Le père Nikola se leva, se dirigea vers le crucifix disposé depuis tant de décennies au-dessus de sa porte d'entrée, l'arracha brutalement - Et hésita... 
Et puis merde se dit-il avant de jeter l'objet dans son bac-recyclage, après tout, si Dieu existait, après tant de siècles, ça se saurait !!

mardi 9 novembre 2010

Mardi 14 mai 2117 : Taoh, archéo-analyste

Taoh était né dans la toute dernière décennie du XXIème siècle. 

Il avait grandi environné de méta-interfaces de toutes sortes, avec au poignet l'incontournable 'Post, tatoué avant même le 5ème jour de naissance. Son inconscient s'était construit au gré des expériences tactiles, des impressions-sensorielles et des incursions que lui autorisaient ses 3To de stockage initial, dans son Kloud nominal.

Aujourd'hui, 25 ans après sa naissance, il embrassait enfin la carrière pour laquelle il avait étudié durant plus de 6 ans, pour laquelle il avait passé la plupart de ses nuits plongé dans l'étude de langages-types abscons, inaccessibles au commun des machines du temps.

Aujourd'hui était son tout 1er jour de travail comme archéo-analyste. Ses prédécesseurs - essentiellement ceux qui vécurent avant la 1ère moitié du XXIème siècle - avaient gratté le sol, fouillé la terre à la recherche des vestiges du passé; lui allait s'intéresser au data, plus exactement le dégager, le trier, le lire et l'exploiter au moyen de puissants logiciels 'historiens', qui reconstruiraient patiemment l'Histoire à partir des fragments numériques dont on les nourrissait.

Taoh s'intéressait plus particulièrement aux évènements qui avaient précédé la Grande Crise, aux environs des années 2020...

jeudi 4 novembre 2010

Samedi 24 décembre 2085 : Le dernier voyage de Mamie

L’euthanasie avait été réglementée dans la plupart des pays occidentaux. 
Tout comme la peine de mort, il existait différents moyens d’en finir. On pouvait le faire de chez soi, à l’hôpital, ou encore choisir l’une des destinations offertes dans certaines agences spécialisées. C’était selon son budget.

On en était arrivé là suite à la pénurie chronique de main d’œuvre en milieu hospitalier, les souffrants ne pouvaient plus être pris en charge faute de personnel compétent. Depuis 25 ans la privatisation généralisée des systèmes de santé n’avait été qu’illusion, alors l’euthanasie s'était finalement imposée. Les plus riches, qui ne pouvaient malgré tout éviter la maladie, décidaient le plus souvent de mourir dans la dignité en s’offrant un « dernier voyage ».

C’est ainsi que j’accompagnai Mamie. Sa destination finale était Cayo Coco. Le complexe hôtelier où nous étions logés était pourvu de tous les services habituels avec un aménagement supplémentaire pour les personnes en fin de vie - qui s’était vite avéré très rentable pour le méga-consortium qui le gérait. 

Le forfait comprenait un aller simple pour Mamie, un aller-retour pour moi, une séance de 3 massages traditionnels (Mamie adorait ça !!), le souper de Noël composé de  5 services, une chambre de luxe, l’injection « dernier voyage » (c’était le nom marketing trouvé par l’agence) et également l’arrangement funéraire soit la crémation, l’urne et la paperasse légale pour le rapatriement et la douane. 
Un forfait à 25 000$ - en rabais durant la période des fêtes.

L’aiguille pénétra dans la veine, à peine visible sous la peau frippée, je lui souris et lui dis : « bon voyage Mamie et n’oublie pas que je t’aime »
Ce furent mes derniers mots à Mamie.

Et depuis je n'ai pas quitté l'île de Cayo Coco. Mamie ne s'était jamais mise aux nouveaux moyens de paiement, et son chèque était sans provision.

(Texte de Julien Messu - merci Julien)

lundi 1 novembre 2010

Vendredi 10 mai 2092 : Dissolution des derniers gouvernements Nationaux.

C'est avec un certain effarement, ce soir-là, qu'il prit connaissance des derniers développements de la crise, sur le 'Port personnel qu'il avait tatoué au poignet gauche depuis sa naissance.

On l'avait vu venir, mais quand même, c'était un bouleversement énorme, d'une envergure qu'on n'avait pas vue depuis plusieurs décennies, voire un siècle. Et là on y était, et c'était sans retour.

Suivant les instructions vocales, il se saisit de ses cartes numériques Nationales, dans le vieux portefeuille en simili-cuir qu'il avait hérité de son grand-père, et commença méthodiquement à les détruire. Heureusement il disposait chez lui, bien rangés dans son maigre espace Life-Cubicule, de ciseaux assez costauds pour rompre les processeurs noyés dans la couche de polymère renforcé.

Dès le lendemain matin il allait pouvoir se logger sur le Portail de TransMonde afin de s'enregistrer comme usager-citoyen planétaire. 
Bien entendu, le lien avec son Kloud personnel - et ses 3 tétra-octets réglementaires - serait rétabli dans les meilleurs délais de manière absolument transparente.

Désormais, tout était regroupé, et l'ensemble des gouvernements nationaux qui subsistaient encore se verraient synchronisés et fusionnés dans les 24 heures en un gouvernement unique, essentiellement composé de dignitaires issus du Niveau 4, titulaires d'un espace Kloud de 10To et plus.

Il allait très certainement devoir migrer rapidement, pour suivre les sites de production qui n'allaient pas tarder à être rationalisés en profondeur.

Ce qui le rassurait malgré tout, c'était que le Président était forcément un décideur digne de confiance puisqu'il était issu de la TransNation Google, qu'il avait dirigée durant plus de 20 années. 
Sous sa gouverne le Méta-Web était sorti du chaos des origines pour entrer dans une ère de discipline absolue.